Episodios

  • Comment sortir du cercle de la servitude? Jacques Rancière
    Sep 24 2024

    Tchekhov plutôt que Lénine. Voilà ce que nous propose gaiement Jacques Rancière dans Au loin la liberté (éditions La Fabrique), de la même façon que Joseph Jacotot répandait, dans Le maître ignorant, la bonne nouvelle de l’égalité des intelligences. Dans ce nouvel ouvrage cependant, il n’est pas question d’égalité, mais de liberté ; et il n’est pas question des rêves d’un philosophe, mais de ceux que met en scène un écrivain russe qui peut-être n’évoquera de prime abord pas grand-chose (sauf de s’être vaguement, une fois ou deux, ennuyé.e devant La Mouette).

    Les nouvelles de Tchekhov offrent pourtant matière à parler d’émancipation, de révolution, de communisme : ce que fait Rancière une nouvelle fois, infatigable. Il serait faux néanmoins de considérer ces récits comme une simple « matière » ; en réalité, c’est comme si un dialogue se tissait entre l’auteur de la Nuit des prolétaires, et celui du Récit d’un inconnu, un dialogue se déployant à partir du « sentiment d’une ouverture indécise du temps ». Ce temps est avant tout celui de la servitude, celui de l’ordre de la police et des vies brisées où tant bien que mal, dans un horizon aux contours un peu flous, se dessinent des brèches.
    On a donc lu et parlé sur la servitude et de liberté, sur la puissance de consolation qui sommeille dans l’ordinaire des petites histoires issues de la mélancolie « ironique et rieuse » de Tchekhov. Est-ce que la consolation mène à l’inaction ? « Changer les manières de sentir », à quoi ça sert ? On a peut-être eu l’impression d’entendre une adresse amicale aux révolutionnaires : vous, qui vous demandez « que faire ? » : ne devenez pas Trotskystes, ne figez pas sociologiquement la servitude, croyez toujours que les pas de côté sont possibles, sachez admirer les banales émancipations qui à coup sûr mènent ailleurs et par-delà, au sens radical du terme.
    La liberté est loin, mais comme les vies enfin délivrées de ce qui les mutile, elle est au loin.

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    1 h y 11 m
  • Tabou de l'inceste et grands méchants loups, anatomie du Petit Chaperon rouge - Lucile Novat
    Sep 16 2024

    Et si nous n’avions rien compris au conte du Petit Chaperon rouge ? Et si le bon sens et la morale populaire transmis par Perrault et les frères Grimm n’étaient pas d’avertir des dangers de la forêt et des prédateurs inconnus mais de se méfier de ce qui se cache derrière la bobinette et sous le bonnet de grand-mères un peu trop aimantes et poilues ?
    C’est l’hypothèse défendue par Lucile Novat dans le formidable De grandes dents, enquête sur un petit malentendu qui vient de paraître aux éditions Zones. La démonstration est implacable, le style impeccable et drôle mais ce qui rend ce livre décisif, c’est ce qu’il dit de nous, de nos aveuglements, de nos dénis et de nos tabous. Ce que l’on comprend à sa lecture, ce n’est pas seulement ce que nous ne voyons pas ou ne voulons pas voir mais pourquoi l’on s’arrange si bien d’une telle cécité. Si Claude Lévi-Strauss voyait dans l’interdit de l’inceste le passage de la nature à la culture, soit le signe de notre civilisation, Lucile Novat s’attache à démontrer que c’est l’interdit de parler de l’inceste qui scelle une certaine solidarité. Comme si ce que contient l’enfance de vérité et de puissance devait à tout prix rester tu. En novembre 2023, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) rend un rapport accablant dans lequel elle dénombre 129 600 cas d’agressions incestueuses chaque année. Si pour l’heure, aucune suite n’a été donnée à ces conclusions, le programme gouvernemental pour redresser la jeunesse a continué de se diffuser : en avril 2024 Gabriel Attal annonce que « la République contre-attaque » face à « l’addiction à la violence » des adolescents. Emmanuel Macron lui emboîte le pas et dénonce le « surgissement de l’ultra-violence dans le quotidien, chez des citoyens de plus en plus jeunes » et en appelle à « un retour de l’autorité à chaque niveau, et d’abord dans la famille. » Ce que l’on comprend en lisant cet essai de Lucile Novat, c’est que l’inceste et son tabou ne sont qu’un dommage collatéral et massif dans une société qui a toutes les raisons de se méfier d’une enfance pas encore tout à fait fondue dans le mensonge civilisé.

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    1 h y 2 m
  • L'école contre l'enfance - Bertrand Olgivie
    Sep 9 2024

    Toute notre vie, nous la passons entre le lion, le chameau et l’enfant : la rébellion, le devoir et la création. Voilà que Bertrand Ogilvie décorrèle l’enfance de l’enfant : l’enfance est l’ensemble des « virtualités faibles » à laquelle tout un chacun doit pouvoir revenir pour se débarrasser du lion comme du chameau. Pour cette rentrée des classes, on se questionne avec lui sur le lien entre l’école et l’enfance et sur la façon dont l’école française, « institution structurellement perverse » produit tout le contraire de ce qu’elle prétend. Si pour certains c’est une évidence, pour d’autres cela serait peut-être un paradoxe : à l’École, on n’apprend rien. Mais quel est ce « rien », alors, que l’on apprend ?
    Lieu proclamé de transmission des savoirs, elle est aussi celui de l’évaluation, de l’apprentissage de l’échec et de l’apprentissage d’une place sociale. La question qui se pose alors est celle de savoir comment il est possible de ressaisir et de laisser place au désir de savoir comme condition de possibilité d’un apprentissage joyeux — et cela, nous dit Ogilvie, n’exige pas autre chose, pour celles et ceux qui transmettent le savoir que de « désobéir, quotidiennement, sans cesse, discrètement, obstinément, avec désinvolture » — de saboter l’école

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    57 m
  • Une histoire politique de l'homophobie - Mickaël Tempête
    Sep 2 2024

    À qui (quoi) sert l’homophobie ?
    L’état, premier acteur de l’oppression homosexuelle - et ce dès l’invention de l’homosexualité au XIXe siècle- serait devenu, en quelques décennies, le garant de la sécurité des homos...
    Mickaël Tempête, pd, auteur et éditeur nous propose dans son premier ouvrage d’explorer l’histoire de l’homophobie, concept phare des nouvelles frontières de l’identité gay dont la lutte institutionnelle en serait un des principaux ciments.
    Comment s’est d’abord construite l’homophobie d’État ? A-t-elle réellement disparue ? Ou bien s’est elle seulement transformée ? La gaie panique propose une analyse historico-politique de la paranoïa et des angoisses qui ont toujours entouré la question homosexuelle masculine jusqu’à son instrumentalisation par les sociétés libérales comme affirmation de leur pseudo supériorité civilisationnelle... On parle, dans ce lundisoir, d’enjeux sécuritaires, de contrôle des désirs, de fléau social et d’espoirs d’émancipation...

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    1 h y 20 m
  • États d'urgence: une histoire spatiale du continuum colonial français - Léopold Lambert
    Jul 15 2024

    Qu’est ce qui relie des révoltes de Kabylie à la moitié du 19ème siècle à la Semaine Sanglante de Paris puis au bagne d’une terre perdue dans le Pacifique?
    Ou plus récemment, comment des corps et des idées souvent antagonistes parviennent ils à déployer des dispositifs, des doctrines et des résistances de la Casbah d’Alger aux banlieues du coeur de la métropole en passant par les forêts kanakes?
    C’est ce à quoi nous tentons de répondre avec Léopold Lambert, architecte de formation et rédacteur en chef de The Funambulist, qui s’attache à étudier la question des mobilités géographiques et de l’aménagement du territoire, jusque dans ses constructions les plus récentes.

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    1 h y 13 m
  • Que peut le cinéma au XXIe siècle ? - Nicolas Klotz, Marie José Mondzain & Saad Chakali -lundi bonsoir cinéma #0
    Jul 8 2024

    Ce lundisoir est un peu spécial. Lundimatin accueille des cinéastes pour parler de cinéma. Cela faisait un moment que Nicolas Klotz & Élisabeth Perceval (Réalisateur•ices), Marie José Mondzain (Philosophe), Saad Chakali & Alexia Roux (Des Nouvelles du Front cinématographique) nous proposaient d’intervenir, régulièrement, dans une émission à plusieurs épisodes, invitant leurs potes cinéastes, critiques, amateur•ices de bons films, pour essayer de déployer ce qu’il reste de cet art, ce qu’il a ou non d’éthique et de politique, dans son espace particulier que l’on croit désormais liminal. Cette série, ils et elles l’ont baptisé, avec un clin d’œil, « Lundi bonsoir cinéma ». Cet épisode 0, expérimental, improvisé, free style, part de la question de base – Que peut le cinéma en 2024 ? Quelle est la puissance du cinéma pour défaire les brutes ? On y découvre que derrière l’industrie du Superhéros se cache le Klu Klux Klan ; que le cinéma anti-nazi a quelque chose de nazi dans sa forme ; que la durée est ce qui permet de sculpter l’éthique de l’image ; que Guy Debord prophétisait l’avènement de Bolloré ou que le cinéma d’hier avait un peu de vergogne.

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    1 h y 39 m
  • Le racisme ordinaire des électeurs du RN - Félicien Faury
    Jul 6 2024

    On entend souvent « à gauche » cette petite musique condescendante à propos des électeurs du Rassemblement National. Ils seraient « fachés mais pas fachos », simplement trompés par la communication dédiabolisée du parti d'extrême droite. Il s'agirait donc de leur apporter la lumière, de leur prouver que derrière les beaux discours populistes se cache du racisme crasse, leur démontrer qu'ils se trompent quand ils votent et comprennent mal leurs intérêts de classe. Le sociologue Félicien Faury a mené une enquête au long cours sur ces électeurs dans le Sud-Est de la France et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il complexifie et radicalise ces analyses de plateaux télés : on ne vote pas RN par méprise ou manque d'éducation mais pour défendre un ordre du monde, racial et dominant. (Pour une présentation plus étoffée de cet entretien, rdv sur lundimatin)

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    1 h y 29 m
  • Armer l'antifascisme, retour sur la révolution espagnole - Pierre Salmon
    Jul 5 2024

    Si nous devons repenser le fascisme -ses fondements, son histoire et ses mutations-, se repose symétriquement la question de l’antifascisme. C’est une histoire qu’il nous faut sans nul doute redécouvrir et partager, au cœur de celle-ci, il y a bien évidemment la guerre civile espagnole, soit l’émergence et la lutte d’un mouvement ouvrier révolutionnaire et autogestionnaire contre le coup d’état fasciste de Franco en 1936. Pour ce lundisoir, nous avons invité l’historien Pierre Salmon qui vient de publier Un antifascisme de combat - Armer l’Espagne révolutionnaire – 1936-1939 (éditions du Détour). Si son livre s’attaque d’abord à un pan méconnu de la guerre d’Espagne, soit la manière dont les forces révolutionnaires sont parvenues à s’armer et à combattre en s’appuyant sur un réseau international de contrebande et de résistance, il nous permet de nous replonger dans cette période et d’aller y rechercher quelques résonances avec notre actualité. Quels enseignements garder d’aussi courageux et glorieux ancêtres ? Le plus décisif, peut-être : que l’antifascisme ne peut jamais se contenter d’être « anti » et se doit de toujours porter en lui les solidarités à chérir et les mondes à construire. Il n’y a pas l’antifascisme puis la révolution mais toujours l’antifascisme et la révolution.

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    1 h y 16 m