• «Trop d’enfants reçoivent un enseignement dans une langue qu’ils ne comprennent pas»
    Jul 14 2024
    Retour aux questions d’éducation, que vous considérez comme la priorité parmi les priorités. Vous avez organisé le 6 juin dernier un dialogue virtuel sur le thème de la place des langues locales africaines dans les systèmes éducatifs en Afrique de l’Ouest. C’est peut-être l’une des plus cruciales à traiter si l’on veut remédier aux évaluations parfois accablantes de la qualité des apprentissages des enfants dans les langues officielles héritées de la colonisation (le français, l’anglais et le portugais dans les pays d’Afrique de l’Ouest).Dans une région où tous les pays sont caractérisés par une extraordinaire diversité linguistique, l’enseignement de qualité dans les langues locales africaines, dans les langues parlées par les enfants à la maison et dans leur environnement social, semble encore aujourd’hui un défi insurmontable.En juillet 2021, la Banque mondiale avait publié un rapport qui réaffirmait ce que de nombreux experts des sciences de l’éducation expliquaient depuis longtemps : « Les enfants apprennent mieux et sont plus susceptibles de poursuivre leurs études lorsqu’ils commencent leur scolarité dans une langue qu’ils utilisent et comprennent ». Le rapport observait que « Trop d’enfants reçoivent un enseignement dans une langue qu’ils ne comprennent pas, ce qui est l’une des principales raisons pour lesquelles de nombreux pays ont de très faibles niveaux d’instruction ». Des études montrent que les enfants qui reçoivent un enseignement dans leur langue maternelle et quotidienne ont 30 % de chances en plus que les autres de savoir lire à la fin de l’école primaire. À lire aussiAfrique: les 16 pays les plus avancés sur l’accès à l’éducationVotre invité, Hamidou Seydou Hanafiou, docteur en linguistique et sciences du langage, enseignant-chercheur à l’université Abdou Moumouni de Niamey, a insisté sur le fait que « les Africains – ou une partie d’entre eux plus précisément – sont les seuls au monde à commencer leur éducation avec une langue qui n’est pas celle qu’ils parlent à la maison ». Nous avons eu plus de deux heures d’une conversation franche qui a fait ressortir, au-delà de l’expertise pointue sur le sujet, la passion et l’engagement de notre invité qui a mis le doigt sur les véritables causes de l’insuffisance de résultats des nombreuses réformes des systèmes éducatifs dans les pays francophones de la région, y compris dans son pays, le Niger, pourtant pionnier de l’introduction des langues maternelles dans l’enseignement formel avec une première école expérimentale bilingue ouverte en 1973-1974.Absence de volonté politique, changements réguliers d’orientations stratégiques du fait de l’instabilité à la tête des ministères, incapacité des États à prendre le relais des financements extérieurs. Dr Hanafiou a témoigné du fait que des hauts fonctionnaires des ministères concernés étaient parfois les plus hostiles à l’enseignement dans les langues premières. Évidemment, il est difficile d’obtenir des résultats lorsqu’on met en œuvre des politiques auxquelles on ne croit pas.L’enjeu de l’enseignement des langues locales, c’est la qualité des apprentissages de manière générale, mais c’est aussi la préservation du riche patrimoine linguistique des pays africains.Oui bien sûr. Et le représentant de l’ambassade d’Irlande au Sénégal, notre partenaire qui soutient notre série de débats sur les questions d’éducation au cours de cette année, décrétée année de l’éducation par l’Union africaine, a rappelé l’importance de la valorisation de la langue irlandaise pour son pays, ancienne colonie britannique.Il n’est pas inutile de rappeler parfois que les peuples africains ne sont pas les seuls au monde à avoir été victimes du crime de la colonisation à un moment de leur histoire. On se relève de ces périodes douloureuses par l’obsession de l’amélioration du bien-être des populations, par le travail exigeant dans la durée, par la tempérance, l’adaptation au monde tel qu’il est et par l’anticipation de ses évolutions. S’il est un domaine où la croyance aux solutions faciles et à la résolution magique des problèmes par des décrets garantit la production et la reproduction de la médiocrité, c’est bien celui de l’éducation. À lire aussiLes défis de l'éducation en AfriquePour aller plus loin :► La place des langues locales africaines dans les systèmes éducatifs en Afrique de l’Ouest,► Haut et fort : Politiques efficaces de langue d’enseignement pour l’apprentissage, Banque mondiale,
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  • En Afrique de l’Ouest: deux sommets, un immense gâchis et des impasses
    Jul 7 2024
    Un week-end avec deux sommets en Afrique de l’Ouest, un sommet de l’Alliance des États du Sahel (AES) hier samedi 6 juillet à Niamey et un sommet de la Cédéao ce dimanche à Abuja. Deux sommets qui illustrent une cassure sans précédent au sein de la région, depuis l’annonce simultanée en janvier dernier du départ des trois pays du Sahel central, Mali, Burkina Faso et Niger, de la Cédéao. Oui, une profonde cassure et surtout un immense gâchis. En 2017, j’écrivais dans une tribune que le fait « d’accepter le détachement géopolitique progressif du Sahel de l’Afrique de l’Ouest institutionnelle incarnée jusque-là par la Cédéao pourrait être une erreur stratégique majeure… qui conduirait à casser la dynamique de solidarité entre pays côtiers et pays enclavés et à mettre en danger les principaux chantiers de l’intégration ouest-africaine ». À lire aussiLes regards tournés vers le sommet de l'AES à Niamey lors d'une réunion de ministres de la CédéaoJe n’imaginais pas qu’on y serait arrivé sept ans plus tard. Qu’on en serait à commenter d’un côté un sommet d’un trio de chefs militaires qui ont pris le pouvoir et le conservent par la force et de l’autre, un sommet de dirigeants de la Cédéao dont plusieurs ont contribué à la décrédibilisation de l’action de l’organisation régionale. Le dernier en date, le dirigeant du Togo, a quand même choisi de doter son pays d’une nouvelle constitution supprimant l’élection présidentielle au suffrage universel, une constitution qui ne sera connue des citoyens togolais qu’après sa promulgation. Les acteurs politiques civils qui n’ont jamais cru aux vertus de la démocratie et de l’État de droit ne veulent pas d’une Cédéao réformée pour être plus efficace. Ils veulent une Cédéao affaiblie, qui laisserait chaque dirigeant faire ce qu’il veut dans son pays. Un rapport récent de l’Institut d’études de sécurité recommande aux autorités militaires de « conduire des transitions véritablement inclusives, en respectant les libertés fondamentales », de « repenser la gestion de la crise sécuritaire à l’aune des enseignements de la dernière décennie, notamment en matière de protection des civils et concernant la nécessité de compléter l’action militaire par des actions non militaires». Oui, ce rapport est très intéressant et constructif et ses recommandations sont bienvenues. Le souci est que les dirigeants militaires semblent s’orienter chaque jour encore plus dans la voie de la militarisation à outrance de l’État et de la société. La peur est maintenant bien installée. Même les ardents défenseurs des pouvoirs militaires devraient avoir maintenant compris qu’ils peuvent eux aussi se retrouver rapidement arrêtés, condamnés et emprisonnés dès qu’ils ont la mauvaise d’idée d’émettre des réserves sur la conduite des affaires du pays. À lire aussiL'Alliance des États du Sahel tiendra son premier sommet le 6 juillet à NiameyVous dites que nombre d’acteurs militaires et civils qui sont aussi comptables du délitement de leurs États que les anciens présidents renversés se font passer sans mal comme des révolutionnaires patriotes et vertueuxOui, dans ce registre, les généraux au pouvoir à Niamey sont les moins crédibles: Le général Abdourahmane Tiani, qui a commandé la garde présidentielle sous Mahamadou Issoufou pendant dix ans, et le numéro deux et ministre de la Défense actuel, le général Salifou Mody, qui fut chef d’état-major des Forces armées nigériennes également sous le président Issoufou, sont tout sauf des hommes neufs. Au Niger, depuis bientôt un an, la réalité est celle d’une prise de contrôle de l’État, y compris de l’administration civile, de la gouvernance locale, et des entreprises publiques, par des hauts gradés. Dans le pays non sahélien que tout le monde oublie, la Guinée, l’ex numéro deux de la junte, le général Sadiba Koulibaly, tombé en disgrâce, est mort en détention dans des conditions fort douteuses fin juin. Tous les médias indépendants ont été fermés depuis quelques mois. Le général Mamadi Doumbouya et ses fidèles sont en roue libre. C’est ce à quoi d’autres pays de la région seront exposés au cours des prochaines années si les voix des sociétés civiles qui peuvent encore s’exprimer ne le font pas. ► Pour aller plus loin : Repenser la gestion des changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique de l’Ouest, Institut d’études de sécurité,Le spectre de la fragmentation de l’Afrique de l’Ouest et de la recolonisation du Sahel, Gilles Yabi,Face à la menace de la désintégration régionale en Afrique de l’Ouest, la résignation n’est pas une option, Gilles Yabi,
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  • Les défis des transports urbains en Afrique
    Jun 30 2024

    Wathi a organisé en avril dernier une table ronde virtuelle sur le thème des transports dans le contexte d’urbanisation accélérée et du changement climatique.

    Oui, nous avons organisé cette table ronde en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE. Le Club a notamment développé Africapolis, un outil d’analyse et de visualisation de données qui permet de cartographier, d’analyser et de comprendre la croissance urbaine en Afrique.

    La population urbaine africaine double tous les 20 ans depuis 1990. En Afrique de l’Ouest, le taux d’urbanisation varie significativement d’un pays à l’autre mais il augmente rapidement partout. Ce taux est plus faible dans les pays sahéliens comme le Niger avec 18 % de part de la population vivant dans une ville, le Burkina Faso est à 32 %, le Mali à 34 %. Le taux d’urbanisation est de 40 % en Guinée, 50% au Ghana, 53% au Sénégal et en Côte d’Ivoire, 58 % au Nigeria comme au Bénin, et 61 % au Togo.

    L’urbanisation prend la forme de l’émergence de nouvelles villes mais les capitales politiques ou économiques comme Lagos, Abidjan, Accra, Dakar continuent à attirer des flux croissants de personnes. Parmi les nombreux défis que pose cette urbanisation accélérée, celui des transports est au premier plan

    Absolument. Des dizaines de milliers de personnes vivent loin de leurs lieux de travail et passent deux à trois heures tous les jours dans les transports. Les embouteillages sont chaque année plus monstrueux, malgré les nouvelles infrastructures routières. La pollution de l’air, encore peu mesurée dans les villes ouest-africaines, représente une menace grave à la santé. Et bien sûr, la hausse continue du nombre de voitures génère des émissions de carbone et participent à un réchauffement climatique. Les voitures électriques partout en Afrique de l’Ouest, ce n’est pas pour demain.

    Nous avons fait en deux heures de discussion un tour d’horizon des défis liés aux transports urbains en donnant la parole à quatre experts, Ousmane Thiam, ancien directeur du Conseil exécutif des transports urbains de Dakar (CETUD), qui est aussi président d'honneur de l'Union internationale des transports publics (UITP), Charlène Kouassi, directrice de Movin'On LAB Africa, think tank dédié à la mobilité urbaine, Brilé Anderson, économiste environnementale au Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest et Abdoulaye Maïga, entrepreneur dans le domaine des transports qui avait co-fondé une entreprise de taxi-motos à Bamako.

    Quelles sont les principales pistes d’action qui sont ressorties de cette discussion ?

    Impossible de les rappeler toutes en une minute. Je renvoie les auditeurs à l’enregistrement de la table ronde qui est disponible sur la chaîne Youtube de Wathi. Nous avons parlé du coût qui reste le premier critère du choix des modes de transport, ce qui explique l’importance des modes de transport informels, des minibus en assez mauvais état mais aussi des bateaux-taxis informels qui opèrent par exemple dans le transport lagunaire à Abidjan aux côtés de trois opérateurs formels.

    Le développement des transports en commun à grande capacité est la priorité parmi les priorités. Nos invités ont souligné les évolutions positives dans plusieurs pays ouest-africains avec les premiers bus de transport rapide (BRT) à Lagos, depuis 2008, puis depuis quelques mois à Dakar. Ce sont des bus confortables, non polluants, qui font gagner beaucoup de temps aux usagers. Le train express régional, TER, connectant Dakar, les communes périphériques, et bientôt l’aéroport, le métro d’Abidjan très attendu, sont aussi des exemples du développement des modes de transport dits capacitaires. Mais il ne faut pas oublier la nécessité de promouvoir le vélo et la marche à pied, qui est le principal mode de déplacement dans les villes africaines, malgré les trottoirs souvent encombrés et les passages piétons parfaitement ignorés par les automobilistes.

    Pour aller plus loin :

    Urbanisation et changement climatique : l’avenir des transports, table ronde virtuelle, Wathi et Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest

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  • De la nécessité de jeter un regard critique sur les élections partout dans le monde
    Jun 23 2024

    Après le Mexique, l’Inde, l’Afrique du Sud dont vous nous avez parlé ces dernières semaines, il est encore question d’élection cette semaine. Il y aura des élections législatives en France le 30 juin, et la veille, le 29 juin, un scrutin présidentiel en Mauritanie

    L’élection du 29 juin en Mauritanie ne semble pas susciter un grand enthousiasme dans le pays du Sahel le moins concerné par la violence terroriste et par l’instabilité politique. Essentiellement parce que le président sortant, Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, candidat à un second et dernier mandat, est largement favori face à ses six rivaux dont le plus connu est le militant des droits humains Biram Ould Dah Ould Abeid, arrivé deuxième à l’issue de la présidentielle de 2019.

    Le président Ghazouani, qui est aussi l’actuel président en exercice de l’Union africaine, a le profil type des chefs d’État mauritaniens depuis l’indépendance : il a fait sa carrière dans l’armée, occupant notamment les fonctions de chef d’état-major des armées avant d’être ministre de la Défense sous son prédécesseur, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, condamné en décembre dernier à cinq années d’emprisonnement pour « enrichissement illicite » et « blanchiment ».

    La Mauritanie a fait des petits pas dans sa démocratisation depuis le dernier coup d’État en 2008, dites-vous…

    Oui, ce coup d’État avait renversé Sidi Ould Cheikh Abdallahi, président civil élu qui venait de limoger les généraux les plus influents de l’armée, dont Ould Abdel Aziz qui commandait alors le Bataillon de la sécurité présidentielle. Si la page des coups d’État a été tournée, il faut l’espérer durablement, celle d’une influence politique permanente de la hiérarchie militaire ne l’est clairement pas encore.

    Mais au-delà de la politique, cette élection est un bon moment pour s’intéresser à l’état du pays dans différents domaines, de l’économie à la santé en passant par l’éducation et l’environnement. Nous proposons sur le site de Wathi une sélection de documents sur ces secteurs en plus de la présentation des biographies des candidats et des grandes lignes de leurs programmes.

    En observant les résultats des élections dans des pays aussi différents que l’Inde, les États-Unis, la France ou l’Italie, et la montée de partis porteurs de discours extrémistes, vous estimez qu’il faut discuter des limites et des travers des exercices électoraux partout dans le monde

    Oui. Mais entendons-nous bien, il ne s’agit pas de donner des arguments à ceux qui préfèrent la prise de pouvoir et le maintien au pouvoir par la force, mais il s’agit de mettre en évidence les travers des compétitions électorales en décryptant les pratiques politiques réelles et les facteurs qui sont de plus en plus déterminants pour gagner une élection dans le monde actuel.

    Je ne pense pas qu’on mesure encore suffisamment l’impact sur les choix électoraux du matraquage d’informations soigneusement sélectionnées par des médias privés politiquement orientés, ou encore l’impact sur les électeurs des fameuses « vérités alternatives », c’est-à-dire des mensonges, relayées massivement sur les réseaux sociaux. Les discours politiques les plus simplistes, qui s’affranchissent de toute exigence de justesse des faits et de profondeur analytique, sont d’une redoutable efficacité pour gagner en popularité.

    Sur l’immigration, sujet de prédilection des partis d’extrême droite en Europe, des leaders politiques au plus haut niveau peuvent répéter à longueur de journée des chiffres complètement erronés sur les entrées nettes de migrants sans la moindre gêne et la moindre contradiction.

    On est bien parti pour voir arriver à la tête de plusieurs pays démocratiques des acteurs politiques dont les seules qualités sont leur maîtrise de la communication et du marketing politiques et l’absence de limite éthique quant aux discours et aux manipulations qui peuvent leur faire gagner des élections.

    Pour aller plus loin :

    Initiative Election Mauritanie, Documents de contexte, biographies et programmes des candidats

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  • Incertitudes et risque de désintégration régionale sans précédent en Afrique de l’Ouest
    Jun 16 2024
    Vous avez publié il y a quelques jours une tribune avec ce titre « Face à la menace de la désintégration régionale en Afrique de l’Ouest, la résignation n’est pas une option ». C’est une alerte sur les conséquences graves d’une fragmentation institutionnelle et politique de l’Afrique de l’Ouest si le Mali, le Burkina Faso et le Niger ne reviennent pas sur leur décision de quitter la Cédéao. Tout à fait. Le 28 mai dernier marquait les 49 ans d’existence de la Cédéao. Il se pourrait bien que dans un an, au moment de commémorer un demi-siècle de processus d’intégration, la Cédéao ait perdu trois parmi ses 15 pays membres. Ce serait un anniversaire bien triste. L’annonce simultanée le 28 janvier 2024 de la sortie de la Cédéao par les gouvernements de Bamako, Ouagadougou et Niamey, tous dirigés par des militaires, a ouvert une crise sans précédent du processus d’intégration régionale.À lire aussiCédéao: le plaidoyer de l’organisation régionale pour convaincre Burkina Faso, Mali et Niger de resterAvec ce texte, je voulais attirer l’attention à la fois sur le degré très élevé d’incertitudes politiques et sécuritaires, même à court terme, dans plusieurs pays de la région et sur les implications probables d’un arrêt brutal du processus d’intégration régionale. Douze ans après le début de la crise malienne en 2012, l’état des lieux sécuritaire, politique et sociétal dans la moitié au moins des pays d’Afrique de l’Ouest est très préoccupant et les tensions vives entre des pays voisins augmentent les risques d’amplification des crises internes. Nous avons publié cette semaine sur le site de Wathi une tribune de Juste Codjo, professeur de Sécurité internationale aux États-Unis et ancien officier béninois, qui alerte sur le risque d’une escalade dans l’animosité actuelle entre le Bénin et le Niger. Vous dites que le coût politique de l’annonce de la sortie de la Cédéao pour les dirigeants des trois gouvernements sahéliens était limité parce qu’ils étaient au fait de l’image dégradée de l’organisation régionale au sein d’une grande partie des populations ouest-africainesTout à fait. Il faut reconnaître l’accumulation au cours des dernières années de décisions malheureuses prises par l’autorité politique de la Cédéao qui est la conférence des chefs d’État et de gouvernement. Les plus graves furent sans doute les sanctions économiques indiscriminées contre le Mali puis le Niger, frappant directement les populations de pays parmi les plus démunis du continent et l’annonce d’une intervention militaire au Niger. Ces décisions ont offert l’occasion inespérée aux dirigeants militaires de se poser en victimes et de mobiliser leurs opinions publiques au nom de la défense de la patrie agressée. Cela leur a permis, en particulier au Niger, de détourner l’attention du coup d’État lui-même, de l’incohérence des justifications mises en avant et des conséquences durables sur leur pays. Selon vous, beaucoup de citoyens ouest-africains réduisent la Cédéao à la Conférence des chefs d’État et de gouvernement et à leurs décisions sur les crises politiques et sécuritaires.Oui, et cela est tout à fait malheureux, permettant à des dizaines d’influenceurs, parfois de bonne foi, souvent de mauvaise foi, de désinformer massivement et de traiter avec légèreté de sujets d’une importance capitale pour la région. Les critiques sur la Cédéao sont indispensables pour pousser l’organisation à faire beaucoup mieux dans tous les domaines, tout en n’oubliant jamais qu’aucune organisation régionale ne peut compenser les déficits de leadership politique éclairé et de capacité au niveau de ses États membres. Mais ceux qui prônent l’abandon par la Cédéao de son agenda politique, ou se réjouissent de son affaiblissement, sont en train de créer les conditions pour le retour à des nationalismes belliqueux et à des régimes autocratiques partout dans la région. Ce n’est pas cette Afrique de l’Ouest là que nous souhaitons pour les jeunes, pour les enfants d’aujourd’hui. ► Pour aller plus loin ► « Face à la menace de la désintégration régionale en Afrique de l’Ouest, la résignation n’est pas une option », Olakounlé Gilles Yabi,►« Tensions Bénin-Niger : quelques leçons d’histoire géopolitique et de relations internationales », Juste Codjo, ►« L’avenir de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest », table ronde virtuelle.
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  • Du Mexique à l’Inde, des élections géantes qui donnent des couleurs à la démocratie
    Jun 9 2024
    C’est une année d’élections dans toutes les régions du monde. Alors que les pays membres de l'Union européenne élisent actuellement leurs députés au Parlement européen, nous revenons que les récents scrutins au Mexique et en Inde. Le Mexique a organisé le 2 juin dernier les élections les plus importantes de son histoire avec la tenue simultanée des scrutins présidentiel, législatifs et locaux. Au total quelque 98,3 millions d'électeurs étaient inscrits sur les listes électorales dans ce pays d’Amérique centrale voisin des Etats-Unis et très lié à celui-ci par l’économie, les migrations et par la circulation des armes, qui alimente un niveau de violence insupportable infligé par les cartels mexicains de la drogue. Vingt-huit candidats aux élections locales ont été assassinés pendant la campagne, ciblés par les cartels, rappelant le défi immense de la lutte contre la violence au prochain dirigeant du pays. Et ce sera pour la première fois de l’histoire du Mexique, une présidente, Claudia Sheinbaum, élue avec 59% des voix et dont le parti Morena (le Mouvement de régénération nationale) a également largement remporté les législatives avec une majorité confortable au Congrès. Claudia Sheinbaum succèdera le 1er octobre prochain à celui qui est considéré comme son mentor, Andrés Manuel Lopez Obrador, qui a dirigé le pays pendant six ans, la durée du mandat présidentiel non renouvelable au Mexique. Ce dernier est toujours très populaire malgré les critiques sur son bilan négatif en matière de réduction de la violence. La présidente élue est créditée, elle, d’un bon bilan à la tête de la mégalopole de Mexico, avec ses 22 millions d’habitants estimés, où les statistiques de sécurité se sont améliorées sous son autorité de 2018 à 2023. La nouvelle présidente devrait notamment maintenir les orientations de son prédécesseur, notamment les politiques sociales visant à lutter contre la pauvreté et les inégalités Claudia Sheinbaum est une scientifique qui a été membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), mais elle est aussi une militante engagée dans des mouvements sociaux et politiques depuis plus de 40 ans. Au cours des six dernières années, sous la présidence de Manuel Lopez Obrador, le gouvernement a mis en œuvre des programmes sociaux qui ont directement bénéficié aux catégories les plus démunies et vulnérables des populations. À lire aussiÀ la Une: le Mexique célèbre une victoire judiciaire contre les fabricants d’armes américains25 millions de Mexicains reçoivent des aides directes, notamment des pensions pour des personnes âgées, des bourses scolaires et universitaires, des aides pour les jeunes en apprentissage et les personnes handicapées, des subventions pour les petits agriculteurs… Le salaire minimum a aussi été revalorisé de près de 40%. Ce sont des politiques publiques qui rappellent celles du président Lula da Silva au Brésil. En Amérique latine, il existe encore des personnalités et des partis qui ne se contentent pas de discours et de promesses mais qui mettent effectivement en œuvre des politiques audacieuses qui s’attaquent à la pauvreté de masse et aux inégalités abyssales, malgré un contexte économique et des finances publiques fragiles. Les élections en Inde, un défi logistiqueLa plus grande démocratie du monde, l’Inde, sort aussi d’élections générales étalées sur six semaines, élections remportées par le parti nationaliste hindou, le BJP du Premier ministre sortant Narendra Modi, mais avec une majorité significativement réduite l’obligeant à former une coalition avec d’autres partis pour gouverner…On peut souligner la qualité de l’organisation, car organiser des élections dans le pays le plus peuplé de la planète est un défi logistique exceptionnel qui a été relevé haut la main par la commission électorale. Ce sont 642 millions d’Indiens, plus de 66 % des 968 millions d’électeurs recensés, qui se sont exprimés dans les urnes, souvent dans des conditions climatiques très difficiles, avec des températures dépassant 45 degrés Celsius dans plusieurs régions. Trente trois membres du personnel électoral sont morts par insolation. Quelque 15 millions d’agents électoraux ont été déployés, recourant à tous les moyens de déplacement imaginables, pour donner la possibilité à tous les citoyens, jusque dans les villages les plus reculés, d’exercer leur droit de vote. À lire aussiInde: tout savoir sur les élections législatives dans la plus grande démocratie du mondeDes machines électroniques ont permis le dépouillement rapide des bulletins de vote. Des machines qui ne sont pas tombées en panne au moment où on avait besoin d’elles, comme cela est souvent arrivé dans les pays africains qui ont dépensé des millions de dollars pour moderniser prétendument la ...
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  • Précarité menstruelle, toilettes dans les écoles et éducation des filles
    Jun 2 2024
    Le 28 mai est célébrée la Journée mondiale de l'hygiène menstruelle, sans doute pas l’une des plus connues et les plus médiatisées. La question de l’accès à l’information et aux produits essentiels à l’hygiène menstruelle pour les filles est pourtant une question importante et un des défis majeurs pour l’éducation des filles en Afrique. Wathi a organisé, en mars dernier, une table ronde sur la précarité menstruelle en milieu scolaire, dans le cadre d'une série de débats virtuels sur l’éducation en Afrique de l’Ouest en partenariat avec l’Irlande. Une série commencée avec une table ronde en février dernier sur l’égalité de l’accès des filles à l’enseignement scientifique, ce qu’on appelle généralement les STEM [sciences, technologies, ingénierie et mathématiques, Ndlr]. On se rend compte assez vite dans une telle discussion qu’il y a de nombreuses sous-questions à aborder, qui sont des obstacles à l’éducation dans des conditions minimales d’apprentissage tout court. Une de ces conditions minimales, c’est le fait pour les filles adolescentes qui commencent à avoir leurs règles, de ne pas devoir manquer plusieurs jours d’école tous les mois. Un des invités à la table ronde, Jerry Azilinon, secrétaire général de Yeewi, une association qui lutte contre la précarité menstruelle au Sénégal, souligne que les filles peuvent manquer jusqu’à 300 heures de cours par an, un quart du temps d’apprentissage, en raison de la précarité menstruelle, qu’on peut définir comme étant la difficulté d’accès aux protections hygiéniques. La difficulté principale, est-ce le coût financier des protections hygiéniques pour les filles ?C’est un facteur essentiel. Les protections périodiques coûtent cher, et il s’agit d’une dépense récurrente, sauf pour les serviettes lavables bien conçues qui sont encore trop peu disponibles et connues. Fatoumata Leye, chargée des programmes de l’organisation Kitambaa qui fait de la sensibilisation et du plaidoyer sur le sujet et promeut la production locale de serviettes hygiéniques lavables, a rappelé que les protections périodiques font l’objet de taxes au Sénégal, alors qu’elles devraient être subventionnées notamment pour les filles d’âge scolaire. Il est clair que les filles issues des familles les plus pauvres et dont les parents ont un niveau d’éducation faible et un accès limité à une information fiable sont les plus affectées par la précarité menstruelle et qu’elles sont aussi celles qui vont voir leur scolarité fortement, parfois irrémédiablement perturbée en raison des menstrues qui sont naturelles pour toutes les filles et toutes les femmes du monde, et qui sont indispensables à la reproduction humaine et donc à la vie.À lire aussi«Je mets des couches à la place»: face à la précarité menstruelle, certaines femmes sont contraintes au système DEn plus de l’obstacle économique, l’accès à une bonne information et à une éducation sexuelle et reproductive est un immense défi. Cette table ronde a permis de rendre compte de la réalité que vivent les jeunes filles en milieu scolaire, de leur difficulté à s’informer sur les règles qui surprennent encore beaucoup de filles totalement non préparées lorsqu’elles passent de l’enfance à l’adolescence. Nos deux invités ont aussi rappelé qu’il y avait encore beaucoup de tabou par rapport aux règles, de la désinformation qui pouvait entraîner des pratiques nocives pour la santé des filles, et aussi un niveau parfois ahurissant d’ignorance de la part des garçons et des hommes. En mettant dans le débat public le sujet de la précarité menstruelle en lien avec celle de l’éducation des filles, vous espérez pousser les élus, les décideurs, à se préoccuper de tout ce qui affecte directement le bien-être de millions de filles.Tout à fait. Les participants à la table ronde ont par exemple souligné l’état souvent lamentable des toilettes dans les écoles, ce qui rebute particulièrement les filles de manière générale et encore plus pendant leurs règles. Un inspecteur de l’éducation nationale à la retraite au Sénégal a témoigné de cette réalité qui impacte directement l’attachement des filles à l’école. Certains s’étonneront peut-être que nous nous intéressions à des questions qui semblent triviales et secondaires. Le fait est que nos États ont peu de chances de résoudre des problèmes complexes s’ils ne sont pas capables de régler des questions relativement simples, si nous ne sommes pas collectivement capables de doter nos écoles de toilettes décentes et d’un environnement scolaire propice à l’apprentissage joyeux et confortable des enfants, et pas seulement de ceux des familles privilégiées. Alors oui, pour nous, réduire les périodes d’inconfort, de douleurs physiques et morales des filles, et lever tous ...
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  • Présence militaire permanente de la France en Afrique: tourner maintenant la page?
    May 26 2024
    Les bases militaires à l’étranger sont l’apanage de quelques puissances militaires dans le monde. La semaine dernière, il était question des États-Unis qui avaient une avance considérable sur tous les autres pays dans ce domaine, avec des dizaines de milliers de troupes hors de leur territoire, la majorité en Asie-Pacifique, en Europe et au Moyen-Orient. Mais en Afrique, la France a longtemps été très présente militairement et c’est un sujet d’actualité dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. On peut dire que cette présence militaire fait débat en ce moment. Lors d’une conférence à l’université de Dakar le 16 mai dernier, à l’occasion de la visite de l’homme politique français Jean-Luc Mélenchon au Sénégal, le Premier ministre Ousmane Sonko, qui s’exprimait en tant que chef de parti et pas de gouvernement, s’est interrogé sur la justification de la présence de bases militaires étrangères permanentes au Sénégal plus de soixante ans après l’indépendance. Ousmane Sonko a réitéré dans son discours « la volonté du Sénégal de disposer de lui-même, laquelle volonté est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères au Sénégal ». Le message est plutôt clair. Le Sénégal, mais aussi le Gabon, la Côte d’Ivoire et Djibouti sont les pays d’accueil des bases militaires permanentes en Afrique.Même s’il faudrait en réalité ajouter le Tchad à cette liste. Ce pays n’accueille pas formellement une base permanente mais les soldats français n’ont jamais cessé de s’y relayer depuis l’opération Manta lancée en 1983 en réponse à l’appel du président tchadien Hissène Habré, menacé par des rebelles appuyés par la Libye du colonel Kadhafi. L’opération Épervier avait pris le relais de 1986 à 2013 jusqu’au lancement de l’opération Barkhane. Il faut distinguer base militaire permanente et opérations extérieures mais des opérations à durée indéterminée et à objectifs modulables dans le temps finissent par ressembler à une présence militaire permanente.Les éléments français au Sénégal (EFS) et les éléments français au Gabon (EFG), sont constitués d’effectifs plutôt modestes, 350 militaires dans chaque pays. Les bases de Dakar et de Libreville constituent des « pôles opérationnels de coopération à vocation régionale » dans le jargon du ministère français des Armées. Leurs principales missions sont « d’assurer la défense des intérêts français et la protection des ressortissants ; d’appuyer les déploiements opérationnels dans la région et de contribuer à la coopération opérationnelle régionale ». Les effectifs étaient historiquement beaucoup plus importants. Au Sénégal par exemple, c’est sous la présidence d’Abdoulaye Wade en 2010 que les effectifs sont passés de 1200 soldats à 350. La base militaire en Côte d’Ivoire accueille officiellement 600 militaires. Le ministère français des Armées qualifie cette base de « plateforme stratégique, opérationnelle et logistique majeure sur la façade ouest-africaine ». Lors de la longue et grave crise ivoirienne, on a vu le rôle décisif joué par la force Licorne dont le déploiement avait été largement facilité par l’existence préalable de cette base française située tout près de l’aéroport et du port d’Abidjan.Et il y a bien sûr les Forces françaises de Djibouti qui constituent le contingent le plus important de forces de présence françaises en Afrique, 1 500 soldats. Djibouti, devenu indépendant seulement en 1977, fait de sa position géographique stratégique un atout majeur et loue une partie de son territoire aux grandes, moyennes et petites puissances qui voudraient y avoir une présence militaire. Depuis les années 2000, les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, l’Italie et la Chine ont ouvert des bases à Djibouti, enclave sur-militarisée en Afrique. Rien ne devrait changer au cours des prochaines années de ce côté-là. Du côté de la France, il est peut-être temps d’accepter qu’une page historique se tourne en Afrique et que des partenariats dans le domaine de la défense et de la sécurité ne requièrent pas une présence permanente.« La France est une nation singulière en tant qu’elle demeure la seule puissance qui conserve des bases militaires permanentes dans ses anciennes colonies africaines. » C’est ce qu’on peut lire dans le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur les relations entre la France et l’Afrique, rédigé par les députés Bruno Fuchs et Michèle Tabarot. Hors du continent africain et bien sûr des territoires français d’outre-mer, eux aussi issus de la colonisation, comme la Nouvelle-Calédonie actuellement dans l’actualité, la seule base permanente de la France à l’étranger se trouve aux Émirats arabes unis, inaugurée en 2009. Du côté des pays africains, l’urgence est de ...
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